Oswald Spengler et l’âge des “Césars”

par Max OTTE

Fonctionnaires globaux, négociants libre-échangistes, milliardaires: les questions essentielles posées par Spengler et ses sombres prophéties sont d’une étonnante actualité

Il y a 75 ans, le 8 mai 1936, Oswald Spengler, philosophe des cultures et esprit universel, est mort. Si l’on lit aujourd’hui les pronostics qu’il a formulés en 1918 pour la fin du 20ème siècle, on est frappé de découvrir ce que ce penseur isolé a entrevu, seul, dans son cabinet d’études, alors que le siècle venait à peine de commencer et que l’Allemagne était encore un sujet souverain sur l’échiquier mondial et dans l’histoire vivante, qui était en train de se faire.

L’épopée monumentale de Spengler, son « Déclin de l’Occident », dont le premier volume était paru en 1918, a fait d’emblée de ce savant isolé et sans chaire une célébrité internationale. Malgré le titre du livre, qui est clair mais peut aisément induire en erreur, Spengler ne se préoccupait pas seulement du déclin de l’Occident. Plus précisément, il analysait les dernières étapes de la civilisation occidentale et réfléchissait à son « accomplissement »; selon lui, cet « accomplissement » aurait lieu dans le futur. C’est pourquoi il a développé une théorie grandiose sur le devenir de la culture, de l’histoire, de l’art et des sciences.

Pour élaborer cette théorie, il rompt avec le schéma classique qui divise le temps historique entre une antiquité, un moyen-âge et des temps modernes et veut inaugurer rien moins qu’une « révolution copernicienne » dans les sciences historiques. Les cultures, pour Spengler, sont des organismes supra-personnels, nés d’idées matricielles et primordiales (« Urideen ») auxquelles ils demeurent fidèles dans toutes leurs formes et expressions, que ce soit en art, en diplomatie, en politique ou en économie. Mais lorsque le temps de ces organismes est révolu, ceux-ci se figent, se rigidifient et tombent en déliquescence.

Sur le plan de sa conception de la science, Spengler se réclame de Goethe: « Une forme forgée/façonnée, qui se développe en vivant » . Dans le germe d’une plante se trouve déjà tout le devenir ultérieur de cette plante : selon la même analogie, l’ « Uridee » (l’idée matricielle et primordiale) de la culture occidentale a émergé il y a mille ans en Europe; celle de la culture antique, il y a environ trois mille ans dans l’espace méditerranéen. Toutes les cultures ont un passé ancien, primordial, qui est villageois et religieux, puis elle développent l’équivalent de notre gothique, de notre renaissance, de notre baroque et de nos époques tardives et (hyper)-urbanisées; ces dernières époques, Spengler les qualifie de « civilisation ». Le symbole originel (« Ursymbol ») de la culture occidentale est pour Spengler la dynamique illimitee des forces, des puissances et de l’espace, comme on le perçoit dans les cathédrales gothiques, dans le calcul différentiel, dans l’imprimerie, dans les symphonies de Beethoven, dans les armes capables de frapper loin et dans les explorations et conquÍtes des Vikings. La culture chinoise a, elle aussi, construit des navires capables d’affronter la haute mer ainsi que la poudre à canon, mais elle avait une autre « âme ». L’idée matricielle et primordiale de la Chine, c’est pour Spengler, le « sentier » (« der Pfad »). Jamais la culture chinoise n’a imaginé de conquérir la planète.

Dans toutes les cultures, on trouve la juxtaposition d’une volonté de puissance et d’un espace spirituel et religieux, qui se repère d’abord dans l’opposition entre aristocratie et hiérocratie (entre la classe aristocratique et les prêtres), ensuite dans l’opposition politique/économie ou celle qu’il y a entre philosophie et sciences. Et, en fin de compte, au moment où elles atteignent leur point d’accomplissement, les civilisations sombrent dans ce que Spengler appelle l’ « Ëre tardive », où règne une « seconde religiosité » (Les masses sortent alors du flux de l’histoire et se vautrent dans le cycle répétitif et Èternel de la nature: elles ne mènent plus qu’une existence simple.

La « Sp‰tzeit » des masses scelle aussi la fin de la démocratie, elle-mÍme phase tardive dans toutes les cultures. C’est à ce moment-là que commence l’ère du césarisme. Il n’y a alors « plus de problèmes politiques. On se débrouille avec les situations et les pouvoirs qui sont en place (…). Déjà au temps de César les strates convenables et honnêtes de la population ne se préoccupaient plus des élections. (…) A la place des armées permanentes, on a vu apparaître progressivement des armées de métier (…). A la place des millions, on a ànouveau eu affaire aux « centaines de milliers » (…) ». Pourtant, Spengler est très éloigné de toute position déterministe: « A la surface des événements mondiaux règne toutefois l’imprévu (…). Personne n’avait pu envisager l’émergence de Mohammed et le déferlement de l’islam et personne n’avait prévu, à la chute de Robespierre, l’avénement de Napoléon ».

La guerre dans la phase finale de la civilisation occidentale

La vie d’Oswald Spengler peut se raconter en peu de mots: né en 1880 à Blankenburg dans le Harz, il a eu une enfance malheureuse; le mariage de ses parents n’avait pas été un mariage heureux: il n’a généré que problèmes; trop de femmes difficiles dans une famille où il était le seul garçon; il a fréquenté les « Fondations Francke » à Halle; il n’avait pas d’amis: il lisait, il méditait, il élaborait ses visions. Il était loin du monde. Ses études couvrent un vaste champs d’investigation: il voulait devenir professeur et a abordé la physique, les sciences de la nature, la philosophie, l’histoire… Et était aussi un autodidacte accompli. « Il n’y avait aucune personnalité à laquelle je pouvais me référer ». Il ne fréquentait que rarement les salles de conférence ou de cours. Il a abandonné la carrière d’enseignant dès qu’un héritage lui a permis de mener une existence indépendante et modeste. Il n’eut que de très rares amis et levait de temps à autre une fille dans la rue. On ne s’étonnera dès lors pas que Spengler ait choisi comme deuxième mentor, après Goethe, ce célibataire ultra-sensible que fut Friedrich Nietzsche. Celui-ci exercera une profonde influence sur l’auteur du « déclin de l’Occident »: « de Goethe , j’ai repris la méthode; de Nietzsche, les questions ».

L’influence politique de Spengler ne s’est déployée que sur peu d’années. Dans « Preussentum und Sozialismus » (« Prussianité et socialisme »), un livre paru en 1919, il esquisse la différence qui existe entre l’esprit allemand et l’esprit anglais, une différence qui s’avère fondamentale pour comprendre la « phase tardive » du monde occidental. Pour Spengler, il faut le rappeler, les cultures n’ont rien d’homogène: partout, en leur sein, on repère une dialectique entre forces et contre-forces, lequelles sont toujours suscitées par la volonté de puissance que manifeste toute forme de vie. Pour Spengler, ce qui est spécifiquement allemand, ou prussien, ce sont les idées de communauté, de devoir et de solidarité, assorties du primat du politique; ces idées ont été façonnées, au fil du temps, par les Chevaliers de l’Ordre Teutonique, qui colonisérent l’espace prussien au moyen âge. Ce qui est spécifiquement anglais, c’est le primat de la richesse matérielle, c’est la liberté de rafler du butin et c’est l’idéal du Non-Etat, inspiré par les Vikings et les pirates de la Manche.

C’est ainsi que s’opposent aujourd’hui deux grands principes économiques: le Viking a donné à terme le libre-échangiste; le Chevalier teutonique a donné le fonctionnaire administratif. Il n’y a pas de réconciliation possible entre ces deux attitudes et toutes deux ne reconnaissent aucune limite à leur volonté, elles ne croiront avoir atteint leur but que lorsque le monde entier sera soumis à leur idée; il y aura donc la guerre jusqu’à ce que l’une de ces deux idées aura totalement vaincu ». Cette opposition irréconciliable implique de poser la question décisive: laquelle de ces deux idées dominera la phase finale de la civilisation occidentale? « L’économie planétaire prendra-t-elle la forme d’une exploitation générale et totale de la planète ou impliquera-t-elle l’organisation totale du monde ? Les Césars de cet imperium futur seront-ils des milliardaires ou des fonctionnaires globaux ? (…) la population du monde sera-t-elle l’objet de la politique de trusts ou l’objet de la politique d’hommes, tels qu’ils sont évoqués à la fin du second Faust de Goethe? ».

Lorsque, armés du savoir dont nous disposons aujourd’hui, nous jetons un regard rétrospectif sur ces questions soulevées jadis par Spengler, lorsque nous constatons que les lobbies imposent des lois, pour qu’elles servent leurs propres intérêts économiques, lorsque nous voyons les hommes politiques entrer au service de consortiums, lorsque des fonds quelconques, de pension ou de logement, avides comme des sauterelles affamées, ruinent des pans entiers de l’industrie, lorsque nous constatons que le patrimoine génétique se voit désormais privatisé et, enfin, lorsque toutes les initiatives publiques se réduisent comme peau de chagrin, les questions posées par Spengler regagnent une formidable pertinence et accusent une cruelle actualité. En effet, les nouveaux dominateurs du monde sont des milliardaires et les hommes politiques ne sont plus que des pions ou des figures marginalisées.

Spengler a rejeté les propositions de Goebbels

Spengler espérait que le Reich allemand allait retrouver sa vigueur et sa fonction, comme l’atteste son écrit de 1924, « Neubau des Deutschen Reiches » (= « Pour une reconstruction du Reich allemand »). Dans cet écrit, il exprimait son désir de voir « la partie la plus valable du monde allemand des travailleurs s’unir aux meilleurs porteurs du sentiment d’Etat vieux-prussien (…) pour réaliser ensemble une démocratisation au sens prussien du terme, en soudant leurs efforts communs par une adhésion déterminée au sentiment du devoir ». Spengler utilise souvent le terme « Rasse » (= « race ») dans cet écrit. Mais ce terme, chez lui, signifie « mode de comportement avéré, qui va de soi sans remise en question aucune »; en fait, c’est ce que nous appelerions aujourd’hui une « culture d’organisation » (« Organisationskultur »). Spengler rejetait nettement la théorie folciste de la race. Lorsqu’il parlait de « race », il entendait « la race que l’on possédait, et non pas la raceà laquelle on appartient. La première relève de l’Èthique, la seconde de la zoologie ».

A la fin des années 20, Spengler se retire du monde et adopte la vie du savant sans chaire. Il ne reprendra la parole qu’en 1933, en publiant « Jahre der Entscheidung » (= « Années décisives »). En quelques mois, le livre atteint les ventes exceptionnelles de 160.000 exemplaires. On le considère à juste titre comme le manifeste de la résistance conservatrice.

Spengler lance un avertissement: « Nous ne vivons pas une Èpoque où il y a lieu de s’enthousiasmer ou de triompher (…). Des fanatiques exagèrent des idées justes au point de procéder à la propre annulation de celles-ci. Ce qui promettait grandeur au départ, se termine en tragédie ou en comédie ». Goebbels a demandé à Spengler de collaborer à ses publications: il refuse. Il s’enfonce dans la solitude. Il avait déjà conçu un second volume aux « Années décisives » mais il ne le couche pas sur le papier car, dit-il, « je n’écris pas pour me faire interdire ».

Au début du 21ème siècle, l’esprit viking semble avoir définitivement triompher de l’esprit d’ordre. Le monde entier et ses patrimoines culturels sont de plus en plus considérés comme des propriétés privées. La conscience du devoir, la conscience d’appartenir à une histoire, les multiples formes de loyauté, le sens de la communauté, le sentiment d’appartenir à un Etat sont houspillés hors des coeurs et des esprits au bénéfice d’une liberté que l’on pose comme sans limites, comme dépourvue d’histoire et uniquement vouée à la jouissance. La politique est devenue une marchandise que l’on achète. Le savoir de l’humanité est entreposé sur le site « Google », qui s’en est généralement emparé de manière illégitime; la conquête de l’espace n’est plus qu’un amusement privé.

Mais: « Le temps n’autorise pas qu’on le retourne; il n’y aurait d’ailleurs aucune sagesse dans un quelconque retournement du temps comme il n’y a pas de renoncement qui serait indice d’intelligence. Nous sommes nés à cette époque-ci et nous devons courageusement emprunter le chemin qui nous a été tracé (…). Il faut se maintenir, tenir bon, comme ce soldat romain, dont on a retrouvé les ossements devant une porte de Pompéi; cet homme est mort, parce qu’au moment de l’éruption du Vésuve, on n’a pas pensé à le relever. ça, c’est de la grandeur. Cette fin honnête est la seule chose qu’on ne peut pas retirer à un homme ».

Et nous? Nous qui croyons à l’Etat et au sens de la communauté, nous qui sentons au-dessus de nous la présence d’un ciel étoilé et au-dedans de nous la présence de la loi morale, nous qui aimons les symphonies de Beethoven et les paysages de Caspar David Friedrich, va-t-on nous octroyer une fin digne? On peut le supposer. S’il doit en être ainsi, qu’il en soit ainsi.

Max OTTE.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, 19/2011 – http://www.jungefreiheit.de/ ).

Max Otte est professeur d’économie (économie de l’entreprise) à Worms en Allemagne. Dans son ouvrage « Der Crash kommt » (= « Le crash arrive »), il a annoncé très exactement, dès 2006, l’Èclatement de la crise financière qui nous a frappés en 2008 et dont les conséquences sont loin d’avoir été éliminées.

RENE GUENON : RECEPTION EN EUROPE CENTRALE

par Daniel COLOGNE

Le numéro hivernal de la revue trimestrielle Vers la Tradition (n°122, décembre 2010 – janvier-février 2011) contient un long article d’Andreas Brunnen. L’influence de René Guénon dans les pays de langue allemande (puisque tel en est le titre) est un sujet de première importance et mérite assurément plus de la moitié du volume (pages 14 à 60).

Remarquable à plus d’un égard, ce texte est malheureusement gâché par la phobie obsessionnelle que l’auteur nourrit à l’égard de Julius Evola. Un quart de son article aborde l’« obstacle majeur » (p.41) que représente à ses yeux Julius Evola pour la réception de René Guénon dans les pays germaniques.

Dans ses autres sous-chapitres traitant de divers penseurs allemands, Andreas Brunnen traque inlassablement la moindre allusion à « l’inévitable Evola » (p.38). Il s’offusque de voir Julius Evola et Léopold Ziegler considérés comme des « égaux » de René Guénon (p.35) et comme ayant « élaboré une œuvre littéraire et scientifique d’une ampleur et d’une profondeur équivalentes à celle de Guénon (p.34).

Commençons par les aspects positifs de l’article. Andreas Brunnen nous apprend une foule de choses intéressantes. René Guénon tenait à ce que ses œuvres soient connues en Allemagne, comme en témoignent plusieurs extraits de sa correspondance avec Léopold Ziegler, mais aussi aux Etats-Unis, où il disposait d’un relais de grande qualité en la personne d’Ananda Kentish Coomaraswamy.

Les descendants de René Guénon développent actuellement avec certains éditeurs des projets de traduction de l’œuvre guénonienne en allemand. On ne peut que s’en réjouir. « Il est extraordinaire, en effet, de constater » que cette œuvre « est plus traduite en hongrois qu’en allemand, alors que les extensions des zones d’influence de ces deux langues ne sauraient être comparées » (p.16, note 5).

Peut-être ce phénomène est-il en partie dû à l’influence de Claudio Mutti, éminent spécialiste italien de la langue et de la littérature hongroises. Et ce qui est finalement en jeu, c’est la réception de René Guénon dans toute l’Europe centrale, y compris des pays (Hongrie, Tchécoslovaquie aujourd’hui éclatée) où la culture allemande a exercé une influence majeure.

Vers l’Ouest, à côté du bloc germanique constitué par l’Allemagne réunifiée, l’Autriche et une partie de la Suisse, il faudrait penser aussi à mieux faire connaître René Guénon en Flandre.

Une note infra-paginale (p.58, note 75) fait allusion au mystique flamand Ruysbroeck, qui a vécu au XIVème siècle, est l’auteur de l’Ornement des Noces spirituelles, a été prieur du monastère de Groenendael (près de Bruxelles en forêt de Soignes) et semble avoir entretenu, selon Andreas Brunnen, des rapports avec la confrérie rhénane des Amis de Dieu.

Une personnalité comme Koenraad Logghe, collaborateur occasionnel de Vers la Tradition, est toute désignée pour accomplir un tel travail : étudier les convergences de Ruysbroeck et de Guénon. Peut-être a-t-il déjà abordé la question.

D’une manière générale, s’il est impératif de traduire Guénon en allemand (et en néerlandais, autre langue germanique), il est tout aussi urgent de promouvoir des études comparatives entre le corpus guénonien et les grands courants spirituels d’Europe de l’Ouest. Ces tâches pourraient être confiées à des universitaires d’excellence, pour autant que les guénoniens, en cela scrupuleusement fidèles à leur maître à penser, surmontent leurs a priori défavorables sur le petit monde des facultés.

Par ailleurs, Julius Evola n’aurait pas à interférer dans ce genre de travaux et Andreas Brunnen serait rassuré de voir « l’œuvre de René Guénon » (…) absolument débarrassée et purifée de toute immixion de celle d’Evola » (p.53, c’est moi qui souligne).

Avant d’en arriver à cette véritable hantise de l’auteur, tout en gardant sans cesse présente à l’esprit cette catamorphose qui transforme, par purification ou épuration interposée, les « Amis de Dieu » en « fous de Dieu », tout en priant le lecteur de se reporter à la page 75 d’un autre article où il est écrit que n’avoir « de repos ni de demeure » qu’avec Dieu (en l’occurrence Allâh) réduit « les créatures » à « des fétus de paille sur la surface de l’eau », je m’en voudrais de ne pas souligner encore d’autres pertinents propos d’Andreas Brunnen.

Citant Guénon, Brunnen souligne que « la ressemblance réelle qui existe entre les langues de l’Inde et de la Perse et celles de l’Europe n’est nullement la preuve d’une communauté de race » (p.17, note 9). Magnifiques sont les pages terminales où il évoque la spiritualité dite « rhénane » en donnant à cet adjectif une acception plus symbolique que géographique, l’« Or du Rhin » du Nibelungelied étant assimilable au « véritable Graal », au « Trésor des Templiers » et autres « dépôts purement spirituels » (p.60). 

Rien n’interdit d’ailleurs d’imaginer la spiritualité « rhénane » comme une survivance templière, en ce XIVème siècle à l’aube duquel le célèbre Ordre de moines-soldats fut décapité, dans les circonstances qu’on connaît, par le roi de France Philippe le Bel et le pape (d’origine française) Clément V. Mais on peut en dire autant des humanistes italiens du quattrocento et des inspirateurs portugais des voyages vers le Brésil et l’Afrique, sans omettre l’hypothèse du « templier flamand » ayant déposé à l’abbaye de Cambron (Hainaut) un livre d’instructions pour la revivification de l’Ordre du Temple (voir à ce sujet les recherches de l’universitaire belge Rudy Cambier).

Je conclus la première partie de la présente recension en remerciant Andreas Brunnen de m’avoir fait découvrir des auteurs germanophones dont j’ignorais l’existence (Walter Heinrich, Gerhard Wehr, Matthias Korger), de m’avoir ouvert des horizons nouveaux en matière d’histoire secrète dans l’importante période-charnière du quattrocento, de m’avoir indiqué la probabilité de la survivance d’un ésotérisme chrétien à cette même époque en Europe occidentale.

Mais il faut bien en venir à la pomme de discorde. Je suis stupéfait de voir un texte aussi brillant parcouru, du début à la fin, par une peur sans fondement, assez semblable aux craintes hypocritement exagérées des défenseurs du « politiquement correct ».

Il est encore heureux qu’Andreas Brunnen mette l’expression « extrême-droite » entre guillemets, surtout quand il s’agit du néo-nazisme de « certaines maisons d’édition allemandes », où les œuvres de René Guénon pourraient être « récupérées » (p.16).

La Droite se caractérise par la quête de l’équilibre entre les inégalités naturelles et les exigences de justice. Articulée autour de l’oxymore d’Aristote (la « juste inégalité »), elle est par définition imperméable à toute tendance extrémiste. Elle n’a rien à voir avec le fascisme et le nazisme, dont Julius Evola a précisément développé une critique sévère del punto di vista della Destra.

Bien davantage que les références guénoniennes citées par Evola, et nonobstant les désaccords des deux auteurs, qu’Andreas Brunnen a raison de rappeler à la faveur de plusieurs énumérations, ce sont les raccourcis à la Louis Pauwels (nazisme = Guénon + les divisions Panzer) et les propos haineux de Simone de Beauvoir (où Guénon voisine avec Drieu et Montherlant) qui peuvent faire passer Guénon pour un intellectuel fascisant.

De la première à l’ultime page de son article, Andreas Brunnen transpire l’inquiétude de voir les œuvres de Guénon « récupérées par tel courant philosophique ou politique, voire par un nationalisme quelconque » (p.60). Il ignore manifestement la critique anti-nationaliste d’Evola qui se place du point de vue de l’idéal supra-national de l’imperium.

« Comment a-t-on pu, aussi, rapprocher les doctrines de ces deux auteurs, pourtant si radicalement incompatibles ? » (p.42). Ainsi s’interroge Andreas Brunnen à propos d’Evola et de Guénon. Lorsque du constat de quelques désaccords, si importants soient-ils, on conclut à une radicale incompatibilité, on frôle la dérive sectaire, le frileux repli sur soi, l’intransigeante fermeture à tout ce qui vient de l’extérieur.

C’est évidemment le droit le plus strict d’Andreas Brunnen et de ses amis de se réunir dans une loge guénonienne ultra-sélective où ils puissent développer leur intellectualité « seigneuriale » en vue d’atteindre la « réalisation spirituelle effective », dont aucun espoir ne peut être caressé par les pitoyables profanes restés « aux portes du Temple ».

Mais il faut alors accorder un droit similaire à des évoliens qui choisiraient de se rassembler au sein d’une mannerbund pour y pratiquer un art martial ou s’adonner à la magie en espérant trouver l’illumination. Je comprends qu’Andreas Brunnen ne souhaite pas voir associer Guénon à Aleister Crowley via Evola préfacier d’un ouvrage de ce « sinistre magicien noir » (p.52). Mais lorsque l’interdiction de voisinage touche Nietzsche ou Schopenhauer (p.45), on n’est plus très loin du syndrôme paranoïde de la pureté auto-proclamée et de la hantise morbide de toute contamination externe.

Andreas Brunnen en remet plusieurs couches concernant Evola, « l’incompatibilité doctrinale entre ses écrits et ceux de Guénon » (p.48), le risque de « récupérer l’œuvre de Guénon, en la situant politiquement à « droite », voire dans la mouvance de telle ou telle idéologie de l’« extrême droite » (p.50). On constate que le vocabulaire ne varie guère, on diagnostique une sorte de psittacisme maladif et on en vient à se demander si la réception de Guénon en Germanie n’a pas servi de prétexte à l’auteur pour attaquer Evola et les divers courants de la contre-révolution.

Andreas Brunnen devrait se tenir mieux informé de publications récentes, comme Evola envers et contre tous (Editions Avatar, 2010), où Alexandre Douguine propose une lecture « de gauche » du penseur italien et qui rassemble autour de ce dernier des partisans et des opposants, des chercheurs de vérité qui saluent la valeur de l’œuvre évolienne sans pour autant lui attribuer une sorte d’infaillibilité pontificale, comme Andreas Brunnen a tendance à le faire pour Guénon.

Mais c’est en page 49 que le propos d’Andreas Brunnen confine au délire lorsqu’il s’imagine qu’à travers Evola, Guénon pourrait être considéré comme « le théoricien de la nouvelle droite ». Il ne démontre qu’une chose : sa profonde méconnaissance de ce mouvement vieux de quatre décennies, en perpétuelle remise en question, en auto-critique permanente, désigné comme « Nouvelle Droite » par ses adversaires à la fin des années 1970, ce qui n’interdit nullement l’emploi des majuscules. La « Nouvelle Droite » a connu un bref « moment Evola », tout comme un « moment Nietzsche » ou un « moment Heidegger ». A ma connaissance, elle n’a pas connu de « moment Guénon ». Certaines de ses figures fondatrices ont depuis longtemps pris leurs distances avec le pessimisme historique évolien et, si cela peut dissiper l’angoisse d’Andreas Brunnen, elles cherchent parfois leurs points de convergence chez Marx ou Proudhon. Car ce qui compte aujourd’hui, pour ceux qui ne peuvent accéder à la « station divine » via une loge initiatique, c’est de retrouver une société respirable, c’est de briser les chaînes d’un Système oppressif, c’est de s’armer contre les rudes réalités de la « vie ordinaire ». Bien-sûr, les guénoniens purs et durs restent libres de « siéger au plafond » et de prétendre y contempler la seule Réalité qui puisse donner un sens à la vie.

Nous sommes aujourd’hui face à une « pensée unique » qui tente d’établir son hégémonie mondiale, d’une part en éradiquant toute forme de spiritualité, pour conduire l’humanité à une sorte d’« irreligion naturelle » (Auguste del Noce), d’autre part en promouvant une conception de l’humain in-déterminé et in-conditionné, donc mobilisable dans la course à la « croissance personnelle » sur fond d’égalitarisme d’alignement. Contre cette « pensée unique » et ses dogmes de rechange, il faut rassembler toutes les forces intellectuelles capables d’opérer le « renversement des clartés », selon l’expression de Xavier Accart, dont je n’ai pas lu le livre, mais dont j’aime la formule. René Guénon est à l’avant-garde de ces forces. Julius Evola aussi.

SATAN EST-IL « LE PRINCE DE L’HETEROGENE » ?

par Daniel COLOGNE

Conscients des effets pervers de leur idéologie-fétiche, certains partisans de l’égalitarisme préfèrent parler d’« égalité des chances ». L’emploi de ce dernier mot au pluriel est révélateur. C’est au départ d’une compétition que l’on évalue les « chances » de succès des participants. L’égalitarisme est l’alignement des individus et le coup de pistolet qui les lance dans la folle course à la « croissance personnelle », selon une expression chère au mouvement New Age.

C’est contre cette facette de l’égalitarisme que je me suis toujours battu, et pas du tout contre l’équité selon le modèle juridique et contre les acquis non-discriminatoires de l’« Etat de droit », qui m’apparaissent irréversibles. Cela tient à la fois, à ma perception simultanée des notions de différence et d’hiérarchie, et à un ressentiment désavantageux de ma place dans ladite hiérarchie.

Nombreux sont les auteurs de notre famille de pensée qui ressentent plutôt leur différence comme avantageuse. Tant mieux pour eux si cela ne les enferme pas dans le piège de la mégalomanie. Leur critique de l’égalitarisme s’assimile plutôt à une vitupération de l’homogène.

Ils se réjouissent donc, dans le sillage de Michel Maffesoli, de voir l’hétérogène reprendre force et vigueur.

« Réaffirmation de la différence, localismes divers, spécificités langagières et idéologiques, rassemblement autour d’une commune origine, réelle ou mythifiée. Voire exacerbation de convictions religieuses ».

(…)

« Il est dangereux, au nom d’une conception quelque peu vieillissante de l’unité nationale et d’une identité figée, de ne pas reconnaître la force du pluralisme, la conjonction d’identifications diverses ».

(…)

que les communautés (ou « tribus ») « soient sexuelles, musicales, religieuses, sportives, culturelles, importent peu, ce qui est certain, c’est qu’elles occupent l’espace public ».

Ainsi Georges Feltin-Tracol répercute-t-il les propos du grand sociologue dans une excellente tribune libre de Culture Normande (n°46, pages 11-13).

Comme de coutume, je partage la majorité des points de vue de mon fidèle ami.

Il faut mettre les identités nationales en résonance avec celles des régions et de l’Europe.

Je ne crois pas trahir sa pensée en ajoutant la nécessaire mise en résonance de l’Europe et du « Nouvel Ordre de la Terre » (recomposition de la planète en grands espaces impériaux).

Oui à l’idée d’Empire défendue par Maffesoli sur le plateau de Ce soir ou jamais (FR3). Oui à un agencement de nos complexes sociétés post-modernes et multicommunautaires. Non à « une juxtaposition anarchique de collectivités d’ego ».

Remarquable est l’énumération des facteurs qui ont entretenu l’illusion du modèle stato-national français. Elégante est l’image de la désagrégation de ce modèle quasi théocratique, que l’auteur assimile à un dégel s’effaçant devant les « senteurs printanières » d’un nouveau paganisme entendu comme « polythéisme des valeurs ».

Ceux qui me lisent savent le peu d’estime où je tiens le service militaire obligatoire, soi-disant creuset investi d’une « mission intégratrice », école auto-proclamée censée « faire de nous des hommes », mais avant tout responsable d’une guerre de trente ans (1914-1945) qui a bouleversé le paysage anthropologique de notre continent.

Parallèlement à l’authentique progrès que constitue le renoncement à la conscription, on a vu se désagréger l’école, autre présumé creuset, minée par des lustres de pédagogie non-directive, de déracinement et d’analphabétisation, de discrédit jeté sur l’enseignement de l’histoire et de la langue maternelle. Dans ces conditions, et comme l’écrit en substance mon autre excellent ami Didier Patte, comment les Européens pourraient-ils intéresser les immigrés à leur héritage ? Et comment les « nouveaux arrivants » pourraient-ils « vouloir assumer cet héritage » ?

Le guénonien que j’ai été avec ferveur et que je ne renie pas entièrement ne s’offusque pas de voir Georges Feltin-Tracol s’en prendre au Grand Orient de France, tant il est vrai que son homologue belge défend de plus en plus une sorte d’intégrisme laïc, où le transformisme darwinien fait office de religion de rechange. Cette parodie de laïcité, cette contrefaçon de maçonnerie attaque les « sectes » néo-religieuses en « ennemi gémellaire ». Elle-même est une « secte » qui se coupe (du latin secare, couper) de la majorité du genre humain toujours fidèle à l’idée d’un Dieu créateur ou à des cosmogonies apparentées. Quant à la haine des « libres-penseurs » pour la spiritualité, j’en vois la première manifestation dans la campagne triséculaire de dénigrement de l’astrologie désormais reléguée dans les pages ludiques des quotidiens, à côté des mots croisés et du jeu des sept erreurs.

J’en viens ainsi à nos légères divergences, cher ami Georges Feltin-Tracol. Mon titre est volontairement insolent. Je n’en suis évidemment plus à diaboliser Dyonisos, dont Maffesoli voit l’ombre s’étendre sur les sociétés post-modernes. Je me rappelle simplement qu’analysant Satan dans l’art, Germain Bazin assimile le singe de Dieu au « Prince de l’Hétérogène ». Certes, plus classique que Bazin, tu meurs !, Mais quand même : le monde de la manifestation est régi par des dualités, dont celle du solve-coagula des alchimistes. Trop d’homogénéité provoque un durcissement. Un excès d’hétérogénéité génère une liquéfaction.

Egalitarisme et homogénéité ne sont pas synonymes. L’égalitarisme est un surplus d’homogénéité face auquel l’excès d’hétérogénéité peut se dresser en « ennemi gémellaire » dissolvant. L’alignement compétitif qui se dissimule derrière l’égalitarisme s’avère in fine fatal aux faibles, creuse des inégalités illégitimes, favorise l’émergence d’une contre-hiérarchie. Voyons comment celle-ci peut tirer profit des phénomènes encensés par Michel Maffesoli.

Passons rapidement sur les « spécificités langagières », qui peuvent recouvrir les « localismes » dialectaux trop longtemps étouffés par les langues s’auto-proclamant « officielles » .

Ne revenons plus sur le sectarisme, « exacerbation de convictions religieuses », si ce n’est pour se demander s’il s’agit d’un phénomène durable. Pourquoi ne serait-ce pas une réaction limitée à quelques décennies, une réponse « à chaud » à la déliquescence des mœurs et à la légifération hâtive sur des problèmes délicats ?

D’accord pour une « conjonction d’identifications diverses », à condition que leur effervescence saluée par Georges Feltin-Tracol ne soit pas comparable à l’éphémère écume du champagne après le débouchage de la bouteille.

Les bulles amères du hooliganisme ont rapidement crevé, mais les violences dont les stades furent le théâtre dans les années 1980 attestent que les « tribus sportives » ont perdu le côté folklorique et bon enfant qu’elles avaient, par exemple, avant 1940, à Bruxelles, où les clubs fêtaient la victoire par une procession dans la commune des vaincus, avec un cercueil peint aux couleurs des perdants.

Pour ce qui est de la tribalisation musicale, le Bruxellois est gâté avec la succession printanière du Jazz Marathon, des Fêtes de la Musique et du Festival Couleur Café. Les samedis ou dimanches restés libres peuvent lui permettre de manifester sa solidarité avec le mélange des races (« spécificité idéologique »), à l’occasion de la Zinneke-Parade, une semaine après la Gay-Pride, où il a manifesté son soutien aux homosexuels.

Que toutes ces nouvelles tribus « occupent l’espace public » est « certain ». Mais il me paraît tout aussi évident qu’elles dévorent le temps ordinaire au profit d’une quasi permanence de la festivité, au rebours de la conception normale où le temps festif restreint autorise une légitime libération par rapport aux contraintes de la vie ordinaire.

Une énergie largement au-dessus de la moyenne doit caractériser l’individu qui désire assumer la pluralité de ses appartenances, en dehors de l’exercice d’une profession où le guette la surcharge émotive des problèmes relationnels (facteur croissant de pénibilité du travail), sans oublier les heures passées devant la télévision ou sur Internet, le tout couronné par les longues minutes stressantes vouées à la téléphonie mobile.

Rechargez sans arrêt votre portable et vous recevez chaque fois une demi-heure de crédit pour appeler « tous vos amis » affiliés au même opérateur qui vous invite à une tribalisation supplémentaire. A quand une « nuit blanche Mobistar », une « Proximus-Parade », un « Base Marathon » ?

La poursuite d’un tel rythme de vie n’est accessible qu’à des individus inépuisables qui constituent une élite de la force vitale, participant de la nouvelle classe dominante et, dans la mesure où l’énergie se substitue à la pensée, contribuent à former ce que René Guénon appelle la « contre-hiérarchie ».

La voracité des identités de circonstance risque de nuire au discernement des appartenances essentielles. Même si c’est celle de Dyonisos, l’ombre faite par les néo-tribalismes du temps qui passe aux authentiques communautés du temps qui dure me semble être un phénomène digne de mobiliser notre réflexion.

10 techniques de manipulation des masses

Le linguiste nord-américain Noam Chomsky, auteur de La fabrique du consentement (ed. Agone, 2008), a élaboré une liste des « Dix Stratégies de Manipulation » à travers les média. Nous la reproduisons ici. Elle détaille l’éventail, de la stratégie de la distraction à la stratégie de la dégradation, des manières de maintenir les citoyens dans l’ignorance et la médiocrité. En lisant ce texte on reconnaîtra les techniques de gestion, par ceux qui nous gouvernent, de l’immigration, de la crise des retraites, etc.

1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-age ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles ».

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

10/Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

Article paru sur le site http://www.voxnr.com en date du 14.10.2010

Qui a peur de l’astrologie ?

par Daniel Cologne

A propos d’un article de Jacques Halbronn

La même aversion pour l’astrologie est partagée par les intégrismes religieux et les courants qui se réclament de la « libre pensée ». Les illuministes héritiers du XVIIIe siècle placent leur orgueil dans leur conception volontariste d’une humanité affranchie de toute détermination. Les fondamentalistes, et principalement les néo-chrétiens, s’auto-proclament les « élus » de la « Providence », transfèrent leur arrogance sur la personne de Dieu. Celui-ci peut intervenir dans l’histoire des hommes et des sociétés en faisant l’économie des lois naturelles.

J’ai la faiblesse de penser que, si Dieu existe, Il est assez humble pour s’appuyer sur la grande horloge cosmique, diriger ainsi le monde de la manière la plus harmonieuse et la moins dissonante possible, et inspirer envers l’astrologie une tolérance qui ne fut d’ailleurs pas étrangère à certaines époques lumineuses de la Chrétienté européenne et du Moyen Âge arabo-musulman.

Différenciée tout autant des pseudo-lumières que des religiosités fondées sur la haine de la nature, notre famille de pensée est-elle toutefois prête à intégrer l’astrologie dans son rêve de voir l’Europe prendre la tête de la grande aventure scientifique de demain ?

À cette question, nul n’oserait répondre par l’affirmative et, dans un article déjà ancien (1), Jacques Halbronn cerne avec clairvoyance les raisons pour lesquelles certaines ramures de notre arbre généalogique intellectuel pourraient légitimement se méfier de l’art et de la science d’Uranie, la Muse au bois dormant que des princes-savants viendraient réveiller pour de bon.

Tant que l’astrologie reste engluée dans les ambiances opaques de l’occultisme et du théosophisme, elle ne remet pas en question nos préjugés, et notamment notre préjugé volontariste, dont Patrick Declerck s’est gaussé dans une récente émission télévisée belge (2). La volonté est une illusion, dit en substance le psychanalyste anarchisant. L’homme fait ce qu’il peut, et non ce qu’il veut. La société idéale est celle qui exige « de chacun selon ce qu’il peut ».

En revanche, si l’astrologie se fait admettre comme objet de connaissance scientifique, elle risque de devenir dangereuse pour quelques-unes de nos préventions les mieux enracinées. Cependant, Jacques Halbronn nous rassure : « Poser la liberté de l’Homme comme simplement individuelle est un faux problème. L’Homme bâtit le monde avec d’autres hommes. » Et l’éminent historien d’ajouter, en citant l’un de ses meilleurs ouvrages (3) : « Philon d’Alexandrie disait que lorsqu’une communauté respectait les mêmes lois, l’influence astrale devenait très secondaire. »

Davantage qu’un astrologue à proprement parler, Jacques Halbronn est un intellectuel qui s’intéresse à l’astrologie et s’autorise ipso facto, par rapport à celle-ci, une distanciation exprimée dans les lignes qui suivent : « On conçoit à quel point en effet le discours astrologique peut devenir critique s’il revient à dévaloriser, en quelque sorte, toutes les constructions mises en place au cours de l’Histoire en prônant un retour à un ordre fondamental – sorte de paradis perdu – incarné par le thème natal. »

Certains astrologues à succès, comme Dane Rudhyar ou Alexandre Ruperti, considèrent en effet la famille, la corporation, la nation et la race comme des « structures parasites » séparant l’individu de sa véritable identité, celle-ci ne pouvant être que cosmique. Jacques Halbronn leur répond par un intelligent questionnement : « Faut-il que l’intérêt pour le cosmos débouche nécessairement sur le cosmopolitisme ? » Pourquoi opposer systématiquement une « Loi naturelle » à des constructions « trop humaines » prétendument génératrices de « pseudo-différences » ? Pourquoi vouloir à tout prix construire le monde autour de « l’outil astrologique », « placer la structure astrologique au dessus des autres comme le fit le monothéisme par rapport au polythéisme », disqualifier « l’accumulation des strates et des expériences » au nom d’un « retour à l’essentiel, au primordial » ?

À travers les interrogations de Jacques Halbronn, on devine à quel point les adeptes du populisme et du communautarisme sont en droit de redouter un renouveau de l’astrologie où celle-ci serait tentée de faire l’économie des influences ethniques et des identités anthropologiques.

Le problème soulevé par Jacques Halbronn se résume au fond comme suit : existe-t-il une hiérarchie des déterminations ? Les astrologues ont tendance à répondre par l’affirmative et à situer leur discipline au faîte de la pyramide des « strates » et des « expériences » qui façonnent la condition humaine.

L’hypothèse d’une hérédité astrale, esquissée par les recherches statistiques de Michel Gauquelin, la domification de l’horoscope (4) vivement contestée par le même Gauquelin, voilà autant de facteurs au travers desquels l’astrologie pourrait, de façon arbitraire, s’arroger le monopole du primordial et reléguer la famille au rang d’une valeur dépendante et subsidiaire.

Les liens organiques entretenus par l’individu avec son milieu professionnel, son environnement ethnique, son paysage natal, son appartenance raciale : tout cela risque de se voir taxer de subsidiarité et éclipser par une nouvelle essentialité cosmique s’exprimant en mode universaliste.

L’astrologie me semble toutefois porteuse d’un universalisme concret opposable à l’universalisme abstrait de l’idéologie libérale et de ses courants dérivés, et à leur vision pernicieuse d’un individu indéterminé, doté d’une volonté autonome et d’une liberté sans racines.

Certes, l’astrologie, et notamment l’astrologie mondiale, n’a pas le droit d’évacuer le poids des « strates » et des « expériences » historiques. Ce n’est pas parce que la conjonction Neptune-Pluton de 1892 se produit au voisinage de l’étoile Aldébaran (5) et semble donc concerner l’Europe que notre continent prend automatiquement, à cette date, un élan nouveau, oublieux des sédiments déposés sur son passé plurimillénaire par la rivière sans retour du Temps.

Je crois néanmoins que l’astrologie peut rendre service au communautarisme européen en lui rappelant que, même débarrassé des surimpositions arbitraires notamment générées par une immigration sauvage et incontrôlée, notre « substrat anthropologique » resterait tributaire de la hiérarchie cosmique et des liens existant entre la qualité des configurations astrales et la valeur des individus, quels que soient le temps et le lieu pris en considération.

Loin de moi la tentation de réduire le binôme Européens-Non-Européens à une « pseudo-différence ». Mais de même que les astralités dissonantes des cieux d’Occident peuvent déterminer les naissances d’individus perturbateurs, naturellement incapables de s’intégrer à notre fédéralisme organique, même en pays « reconquis », ainsi les astralités harmoniques des autres régions du monde peuvent y faire apparaître des hommes de valeur qui seront « de chez nous », supérieurs aux couches problématiques de notre propre « parc humain ».

À défaut d’une fraternité multiculturelle que je tiens pour utopique dans la mauvaise acception du terme (outopie : pays de nulle part), je crois en la solidarité d’une aristocratie cosmopolite mobilisée dans la construction d’une cité idéale (eutopie : pays où l’on se sent bien). Positionnée dans une telle perspective, et non limitée à un effort guerrier de « reconquête » aux relents racistes, notre famille de pensée n’a rien à craindre d’une astrologie qui assimilerait intelligemment les mises en garde de Jacques Halbronn.

Grâce à l’astrologie, nous verrions que « nous avons des pères dans tous les pays » (6). Cette phrase pleine de bon sens n’émane pas d’un intellectuel de gauche, mais de l’éphémère revue Taches d’encre. Maurice Barrès s’en souvint lorsqu’il fut à deux doigts de participer à une expédition de secours aux Arméniens anéantis par le génocide turc. Il est agréable de la voir naître sous la plume d’un homme que ses contemporains, à l’instar de Romain Rolland, décrivaient comme la fine fleur du nationalisme borné, dont « la tige sortait du ventre des charniers ».

Notes

1 : « Astrologie et arbitraire », dans Microcosmos, n° 30, 1988. La revue Microcosmos a été évoquée sur le site http://www.europe.maxima.com à l’occasion de mon entretien avec l’astrologue belge Gemini sur « L’Europe, les astres et l’histoire ».

2 : « Noms de dieux », 4 décembre 2005.

3 : Jacques Halbronn, Le monde juif et l’astrologie, Milan, Archè, 1985.

4 : Les Maisons III et IV, de part et d’autre du Nadir (ou Fond du Ciel), correspondent aux origines familiales.

5 : Aldébaran est le nom arabe d’une étoile de première grandeur et de premier éclat située dans la constellation du Taureau. Rappelons ici le récit mythologique de l’enlèvement d’Europe par Zeus déguisé en taureau blanc.

6 : Cité par Jean-Marie Domenach, Barrès par lui-même, Le Seuil, 1958, p. 52.

RELIGIONS ET RATIONALISME : UNE ARROGANCE PARTAGEE ?

par Daniel COLOGNE

Un plaisantin disait que le grec et le latin sont des « langues mortes » parce que les étudiants se tuent à les apprendre. Il est en effet difficile de maîtriser les huit acceptions différentes de logos, imparfaitement restituées par verbum et ratio, que l’on découvre chez les grands auteurs antiques, d’Héraclite aux Pères de l’Eglise (1).

Il a sans doute existé, dans un passé à jamais révolu, des langues encore plus complexes que le sanskrit, lui-même plus élaboré que le grec, sans parler de l’hébreu et de l’arabe, avec leurs sciences corrélatives des lettres et des nombres concernant la totalité de l’alphabet, alors que seulement sept lettres latines ont une valeur numérique (2).

L’élite de l’intelligence et de la mémoire qui maîtrisait ces langues oralement et par écrit ne trônait toutefois pas forcément au faîte d’une société idéale à laquelle il conviendrait de faire retour après des millénaires de décadence. Un messianisme de ce type serait, au même titre que celui des religions, une façon maladroite de s’opposer à la « croyance devenue arrogante en une Civilisation unique de la Raison née au siècle des Lumières » (3).

L’illuminisme rationaliste hérité du XVIIIème siècle est une religion de rechange dont l’un des principaux dogmes est l’idée selon laquelle l’Histoire possède une destination finale. Michel Abdallah Grimbert utilise donc légitimement le mot « croyance ». Là où je ne puis lui emboîter le pas, c’est lorsqu’il établit une généalogie entre les « Lumières » et le colonialisme. Celui-ci s’attaqua également, deux siècles plus tôt, au continent américain sous la bannière de la Chrétienté.

Pourtant, Michel Abdallah Grimbert nous fournit une analyse du « sentiment religieux » (4) et ipso facto des clés pour comprendre comment les religions partagent, avec le rationalisme qu’elles prétendent combattre, cette même « arrogance » les poussant à s’auto-proclamer les fins dernières de l’aventure humaine.

« On comprendra donc la nécessité d’éclairer par la Science, qui seule peut apporter le discernement, la Vérité perçue intuitivement et à partir de laquelle s’établit la Foi dont le garde-fou naturel, face au sentiment d’exaltation, est l’humilité. Car, de toute évidence, la Foi non éclairée par la Connaissance (…) laisse libre cours aux possibles excès de notre individualité » (5).

La Science ou Connaissance dont il s’agit a notamment pour objet les langues sacrées qui servent de véhicules aux religions et les textes fondateurs dont les traductions trahissent souvent la signification véritable.

Supérieure à la Raison mais inférieure au Discernement (je me permets de généraliser la majuscule), l’Intuition est, dans l’approche de la Vérité, une étape intermédiaire dont la prétention à l’auto-suffisance peut mener à de graves dérives.

Fondée sur l’Intuition, la Foi a besoin d’un « garde-fou ». Le terme n’est pas employé par hasard. Le prétendu « renouveau spirituel », que d’aucuns croient déceler dans la « post-modernité », est en réalité une nouvelle offensive des « fous de Dieu », que l’on ne rencontre pas exclusivement dans les milieux islamistes.

Si l’humilité est le « garde-fou », l’orgueil est donc le stigmate de ces « fous de Dieu ».

Dans cette livraison printanière de Vers la Tradition, presque exclusivement axée sur l’Islam, Michel Abdallah Grimbert dénonce dans toutes les formes de modernité (rationalisme, religiosité privée de dimension sapientielle, vitalisme nietzschéen) l’avènement d’un type d’« homme aux pieds d’argile sans verticalité réelle autre que son orgueil » (6).

NOTES

(1) Nikos Vardhikas : Le logos dans l’enseignement de saint Maxime le Confesseur, en Vers la Tradition, n°119, mars-avril -mai 2010, page 38 à 45.

(2) Ce sont les lettres I, V, X, L, C, D et M. Notons cette troublante curiosité : à l’exception du M (1.000), la somme de la valeur numérique des six autres lettre 1 + 5 + 10 + 50 + 100 + 500 = 666, soit le nombre de la Bête de l’Apocalypse.

(3) Vers la Tradition, n°119, p.19. Le reste de la présente recension est consacré au remarquable article de Michel Abdallah Grimpait : Prolégomènes à la Science des Lettres, et plus précisément aux cinq pages introductives, car je ne me permettrais pas de donner mon avis sur le savoir de l’auteur, infiniment supérieur au mien, en matière de langue arabe et d’interprétation du Coran.

(4) Ibid., p.15

(5) Ibid., p.16

(6) Ibid., p.18

Nietzsche est-il un « imposteur » ?

 

par Daniel COLOGNE

Le numéro 113 de Vers la Tradition (septembre-octobre-novembre 2008) répond derechef à l’attente de celles et ceux qui ont affiné leur critique de la modernité sur cet efficace aiguisoir que constitue la pensée de René Guénon.

Auteur d’une remarquable recension concernant le corpus maçonnique de l’œuvre guénonienne, André Bachelet confirme que l’équipe dirigeante de la revue a bien fait de lui confier la succession du regretté Roland Goffin.

On salue la présence de Denise Richard, qui donne un compte-rendu touchant la tradition chinoise, mais qui a également publié un ouvrage sur les contes. La recension en est faite par Koenraad Logghe, dont on se réjouit de retrouver la signature au sommaire d’une publication qui jamais ne déçoit.

Au menu de cette livraison automnale, le plat de résistance est sans conteste l’article de Léon Lieudat : L’imposture nietzschéenne.

Je réitère toute l’estime que je porte à cet auteur, grand connaisseur de la philosophie européenne qui opère un intéressant rapprochement entre la ‘’volonté de puissance’’ de Nietzsche et le conatus de Spinoza.

S’appuyant sur des extraits de quelques œuvres de Nietzsche (notamment Le Gai Savoir, Aurore et Ainsi parlait Zarathoustra), Léon Lieudat le met en situation dans toute l’histoire culturelle allemande, non seulement philosophique (Hegel, Schopenhauer) mais aussi littéraire (Heine, Hölderlin).

Erudit en matière de germanité, Léon Lieudat rappelle que le thème de la ‘’mort de Dieu’’ est déjà présent chez Heinrich Heine, et surtout chez Hegel sous la forme du ‘’Vendredi Saint spéculatif’’. Il dresse un tableau de correspondances que l’on peut schématiser comme suit :

Nietzsche Dionysos Apollon

Schopenhauer Volonté Représentation

Freud Inconscient Moi

Je suis quelque peu surpris que Léon Lieudat ne fasse pas référence à Georges Vallin et à la grande exigence de sa ‘’perspective métaphysique’’ selon laquelle Dieu doit être envisagé à la fois dans Sa transcendance et Son immanence. La dérive transcendantalisme apparaît alors comme la ‘’première mort de Dieu’’, l’immanentisme nietzschéen n’étant in fine qu’une sorte de retour de balancier.

Cette première constatation implique déjà qu’il est excessif de taxer Nietzsche d’ ‘’imposture’’.

Certes, il peut paraître défendable de considérer l’immanentisme nietzschéen comme un moment de la ‘’contre tradition’’ (selon la terminologie guénonienne) après le moment de l’ ‘’anti-tradition’’ que constitue par exemple le matérialisme de Diderot.

Mais il s’agit là d’un historicisme bien myope. Il convient d’élargir davantage la chronologie, de lui donner une dimension pluriséculaire, et alors ‘’anti-tradition’’ et ‘’contre-tradition’’ se confondent respectivement avec le transcendantalisme religieux et l’immanentisme philosophique.

Que l’immanentisme nietzschéen soit le reflet d’une grande tendance de fond de la pensée allemande, Léon Lieudat le souligne de façon légitime. Paul Hazard a pu voir dans la philosophie de Leibniz une ‘’métaphysique de la subtance’’, un grand mystique comme Jakob Boehme ne perd jamais de vue la Nature qui est ‘’le corps de Dieu’’, et Spinoza est effectivement un précurseur de Nietzsche, car la ‘’volonté de puissance’’ est, comme le conatus, non pas un vulgaire instinct de domination guerrière et d’écrasement des faibles, mais ‘’l’effort de toute chose pour persévérer dans son être’’ (du latin conari, s’efforcer de).

La ‘’volonté de puissance’’ est une tension destinée à mobiliser les forces dionysiaques dans la phase de dégénérescence qui caractérise tout organisme individuel ou collectif menacé de destruction.

Comme l’explique clairement Léon Lieudat, le concept apollinien d’un ordre cosmique intervient, dans ce processus d’auto-défense, non comme une vérité et une fin en soi, mais comme un moyen dont le caractère illusoire importe peu, pourvu qu’il garantisse le maintien de la tension susdite et ipso facto l’espérance de ‘’l’éternel retour’’.

Léon Lieudat voit dans la pensée de Nietzsche un ‘’apollinisme inversé’’ alors qu’il me semble plus juste et plus nuancé d’évoquer un ’’ apollinisme instrumentalisé’’.

‘’L’éternel retour’’ est bien la colonne vertébrale de la pensée de Nietzsche, mais Léon Lieudat me paraît trop sévère en le présentant conne une ’’parodie’’ ou une ’’contrefaçon’’ de la doctrine traditionnelle des cycles, puisque tels sont les termes que le lexique guénonien utilise aussi pour désigner l’ ’’imposture’’.

La quête de Nietzsche le mène aux confins de l’astrologie mondiale, que je préfère rebaptiser ’’cosmo-histoire’’, et le reproche qu’on peut lui faire est de méconnaître le principe d’analogie, de croire que les mêmes configurations planétaires coïncident avec des événements identiques, d’ignorer la vieille sagesse antique et, en l’occurrence, le proverbe chinois selon lequel ’’on ne se baigne pas deux fois dans la même eau du fleuve’’.

Du principe cosmique de correspondance, Nietzsche a néanmoins l’intuition lorsqu’il assimile les cycles historiques d’expansion et de déclin aux deux phases journalières inaugurées par le lever (übergang) et le coucher (untergang) solaire. Léon Lieudat montre que la ‘’volonté de puissance’’ agit pendant la phase nocturne pour rassembler les forces les plus obscures (Dionysos) dans une tension où s’insinue l’espoir de la nouvelle aube à venir (Apollon), symbole de ‘’l’éternel retour’’ (voir notamment le livre intitulé Aurore).

Mais le point de vue de Nietzsche est horizontal (littéralement, c’est le point de vue de l’horizon). Il épouse l’axe Est-Ouest de l’Ascendant et du Couchant (en vocabulaire astrologique). Dans la perspective traditionnelle prévaut l’axe Nord-Sud du méridien, de même qu’au niveau du cycle annuel, la primauté est accordée à l’axe des solstices sur l’axe des équinoxes, à la verticalité sur l’horizontalité. Voilà la lacune qu’un guénonien peut épingler dans la pensée de Nietzsche, impuissante à servir de fondement à un renouveau spirituel ‘’non moderne’’, puisque imprégnée d’une perspective horizontale typique de la modernité.

La haine pathologique éprouvée par Nietzsche à l’égard du Christianisme est étrangère à la nouvelle religiosité d’aujourd’hui, qui se présente sous de ’’fausses apparences’’ (ingrédient fondamental de l’ ’’imposture’’ au sens élémentaire du Dictionnaire Larousse).

Si les guénoniens cherchent une ’’parodie’’ ou une ’’contrefaçon’’ de ’’l’unité transcendante des religions’’ (formule de Frithjof Schuon pour désigner la ’’Tradition Primordiale’’), je leur suggère de pointer plutôt le doigt vers l’œcuménisme par le bas, le dialogue inter-religieux, le rapprochement des croyances majoritairement représentées à la surface de la Terre : nivellement catagogique au sein duquel se rassemblent des religieux ‘’éclairés’’, c’est-à-dire les ‘’tièdes’’ que l’ Evangile prétend ‘’vomir’’, les timorés qui récupère l’étiquette ‘’humaniste’’ pour cacher derrière elle la peur de se différencier, les obsédés de l’éthique pour qui le ‘’renouveau spirituel’’ se résume à ‘’imposer des limites à la science et au marché’’ (Joëlle Milquet), les recteurs d’universités catholiques qui s’interrogent : ‘’Dieu est-il laïc ?’’. C’est dans la direction du Père Gabriel Ringlet et de ses homologues disséminés dans toute l’Europe (je ne cite que deux exemples belges) que Léon Lieudat devrait traquer les ‘’imposteurs’’, s’il était conséquent avec la vision guénonienne de l’Histoire, et par delà mon total accord avec lui sur les approximations de ‘’l’éternel retour’’, la vanité de théories comme le ‘’Surhomme’’ et la ‘’Grande Santé’’, la dangerosité de quelques phrases sur l’ élimination des ratés, bref toutes les insuffisances du vitalisme nietzschéen.

L’expression ‘’spiritualité à rebours’’ apparaît aussi dans le glossaire guénonien pour nommer une attitude très voisine de l’ ‘’imposture’’.

Bien davantage qu’à Nietzsche, cette expression s’applique par exemple à Carl Gustav Jung, chez qui ‘’l’inconscient collectif’’ correspond à la notion traditionnelle de ‘’mémoire cosmique’’, mais avec une orientation vers le bas, et non un dépassement du niveau psychique tel qu’on l’attend de toute spiritualité authentique.

Refusant les ‘’idées’’ platoniciennes et tous les ‘’arrières-mondes’’, Nietzsche immerge la pensée dans l’immanence et opère ainsi un rééquilibrage avec le transcendantalisme désincarné propre au point de vue religieux. Ce rééquilibrage ne peut évidemment pas satisfaire la quête spirituelle puisqu’il s’effectue entre les deux pôles de ce que les guénoniens appellent l’ ‘’anti-tradition’’, demeure somme toute dans le cadre de l’illusion dualiste, verse dans un des deux plateaux de la balance un excès de yin (pour utiliser cette fois le vocabulaire de la pensée chinoise) pour compenser une surcharge de yang dans l’autre plateau.

L’amor fati de Nietzsche, son ‘’oui à la vie’’ ne dérivent pas en une systématisation de l’unterbau par laquelle les représentations culturelles seraient mécaniquement déterminées.

La forme même de l’écriture de Nietzsche (paraboles, aphorismes, fragments) plaide en faveur de la douloureuse sincérité avec laquelle il vit la crise moderne de la vérité. Face à la filiation Schopenhauer-Kierkegaard-Nietzsche, où le vouloir-vivre se vit tragiquement et dans la souffrance, se dresse la parenté Kant-Hegel-Marx des philosophies systématiques, avec le confort de leur ‘’verrouillage rationaliste’’ (Léon Lieudat dans un article précédent).

L’Œuvre de Nietzsche se présente comme un seul grand livre inachevé, parce que rebelle à toute incarcération de la pensée dans un système, dont Leibniz disait déjà qu’il est toujours ‘’vrai en ce qu’il affirme’’ et ‘’faux en ce qu’il nie’’. Les habitants de Koenigsberg réglaient leur horloge sur le passage de Kant, tant était ponctuelle sa quotidienne promenade. Nietzsche fait sortir la philosophie des bibliothèques feutrées et des poussiéreux cabinets de travail pour la lancer sur le rocailleux chemin d’une aventure poignante que l’on a le droit de juger spirituellement stérile mais dont le côté dramatique et émouvant ne peut laisser personne insensible.

LIBRE ARBITRE, DETERMINISME ET PHILOSOPHIE DE L’ASTROLOGIE

 
par Gustave Lambert Brahy (1)

Si la croyance aux influences astrales ne débouche pas sur une religion ou une idolâtrie quelconque, elle aboutit néanmoins à l’élaboration d’une philosophie adéquate.

Nombreux et importants sont les problèmes que cette philosophie est appelée à résoudre ; il importe surtout de savoir si l’être humain est désespérément conditionné par son destin, ou si le libre-arbitre qu’il revendique est une réalité effective.

Accessoirement, cette philosophie devrait-elle aussi chercher à expliquer par quel mécanisme secret, ou par quelle astuce singulière, les événements peuvent être prévus dans leur succession et dans leur nature.

Essayons tout d’abord de nous faire une idée de ce qui échappe à nos sens et à notre raison, et qui rend par conséquent ce mécanisme incompréhensible pour nous.

Si intelligents que nous soyons ou que nous croyons être, nous devons convenir qu’il y a peut-être autour de nous, soit des êtres plus lucides que nous, soit de modes de perception auxquels nous restons fermé ; nos sens, nous le savons, ne perçoivent qu’une partie des choses, ou plus exactement ne les voient que d’une façon partielle et imparfaite ; notre cerveau n’embrasse pas non plus toute la gamme des idées concrètes, et surtout abstraites, qui peuvent être envisagées. Nous sommes probablement victimes d’une formation physique et intellectuelle qui nous empêche de réaliser certains états ou certains phénomènes.

Il suffit, pour le comprendre, d’imaginer dans quelle situation pourraient se trouver des êtres linéaires, condamnés à se propulser sur une même ligne ; ces êtres ne pourraient évidemment se dépasser et se trouveraient donc contraints à une progression à la queue leu leu, où l’être le plus lent obligerait les êtres plus rapides à adopter sa vitesse de croisière. Ces êtres ne pourraient forcément concevoir qu’une seule dimension.

Mais si ces mêmes êtres pouvaient se mouvoir dans un plan, c’est-à-dire dans une surface à deux dimensions, ils auraient déjà une possibilité de manœuvre plus grande, notamment celle de se dépasser mutuellement, de s’écarter les uns des autres, de voyager de front, etc.

Dans le monde des volumes à trois dimensions, ceux qui appartiennent à ce monde ont évidemment des possibilités autrement étendues encore que les êtres plats à une ou deux dimensions dont nous venons de parler. Du fait de pouvoir s’élever au-dessus d’un plan ou d’une ligne, ils disposent ainsi, par rapport à ces êtres, d’une vision de perspective qui leur permet d’apercevoir, ou de conjecturer, le but vers lequel ils tendent, et les obstacles éventuels qui les en séparent. Déjà ici, nous pouvons, par analogie, nous faire une idée de quelle façon, ou par quels moyens, des êtres appartenant à un monde à quatre dimensions sont en mesure de prévoir les événements qui nous attendent, et la chance ou la malchance qui en résultera pour nous. Dans pareille hypothèse, les influences astrales constitueraient le mécanisme, ou les repères dont nous pourrions nous servir pour conjecturer logiquement certains faits ; et ceci d’après l’expérience que la répétition des mêmes faits par rapports aux mêmes repères peut permettre d’échafauder. L’astrologie ne serait rien de plus que l’ensemble des réflexes conditionnés qu’un animal parvient à maîtriser intelligemment, parce qu’il a compris que c’est pour lui le seul moyen de satisfaire un instinct ou un besoin essentiel : celui de se nourrir, par exemple.

Ce raisonnement nous permet de mieux comprendre déjà cette phrase du savant Eddington : ‘’Les événements ne se produisent pas, ils sont en place, et nous les rencontrons inéluctablement suivant notre ligne d’univers’’.

Imaginons en effet un être, même un être humain, se déplaçant en avion ou dans un hélicoptère, et qui domine par conséquent toute une contrée, avec ses routes, ses croisements, ses accidents de terrain, etc. Il est parfaitement en mesure de déterminer les carrefours, les obstacles et les encombrements par lesquels devra inévitablement passer une caravane de voitures ; il peut même, en jugeant des possibilités de déplacement et de la vitesse approximative de celle-ci, arriver à déterminer à quel moment tel ou tel incident doit fatalement se produire. Ces véhicules se déplacent en effet un peu à la façon des êtres plats dont nous parlions plus haut ; et ce n’est guère qu’aux croisements de deux ou plusieurs routes qu’il leur sera possible d’échapper à cette contrainte ; quittes, peut-être, à constater que, pour échapper à Charybde, ils sont tombés en Scylla.

Imaginons encore à quelle insuffisance de perception obéit un insecte se déplaçant en cercle, et qui croit sans doute avancer dans la même direction alors qu’il doit fatalement revenir à son point de départ. Ou encore le désarroi du même insecte se heurtant tout à coup à une ligne ou à un plan perpendiculaire, à celui sur lequel il cherche à progresser. Ou bien encore le même insecte assistant dans son plan au passage à travers ce plan d’un solide quelconque, un cône par exemple ; il verra le vide se creuser et grandir devant lui, et à travers ce vide, surgir un plan venu il ne sait d’où, et dont il ne pourra vraisemblablement pas concevoir la forme exacte, ni l’étendue. Pour cet insecte, il s’agira là assurément d’une catastrophe dépassant sa compréhension. Ne peut-on imaginer quelque chose de semblable surgissant dans notre univers, et susceptible de nous déconcerter aussi totalement que l’insecte en question ?

Poussons encore davantage notre tentative de compréhension ; imaginons un être plat se mouvant dans son plan, et qui aborde à certain moment un autre plan contigu ou tangent au sien ; poursuivant sa lancée, il quitte alors sans s’en rendre compte son propre plan pour le plan adjacent ; n’est-ce pas pour lui un changement total de milieu ? Et sans qu’il puisse en discerner la cause ; car cette cause n’est perceptible que pour un être à trois dimensions.

Mieux encore, imaginons que notre être plat, ou notre insecte, se meut à la surface extérieure d’un sac en caoutchouc ; par une astuce diabolique qui n’appartient qu’à l’être humain, nous retournons ce sac sur lui-même et, du coup, voilà notre sujet transféré de l’extérieur à l’intérieur du sac, avec tous les inconvénients qui peuvent en résulter pour lui. Il lui semble sans doute passer inexplicablement de la lumière à l’ombre, de la liberté à la limitation. En astrologie, nous verrions là un effet de douzième Maison ; et, pas plus que l’insecte ou l’être plat, nous ne pouvons concevoir ce retournement de situation au sens littéral du mot. C’est là un effet de fatalité pure, dont les raisons nous échappent, tout au moins au premier moment.

Ce ’’retournement’’ du sac dont nous venons d’imaginer l’exemple est compréhensible pour nous parce que nous en saisissons parfaitement le mécanisme ; mais ne pouvons-nous imaginer que, par le truchement d’un monde à quatre dimensions, nous nous trouvions mêlés à un monde tout différent du nôtre, et dont le relief ou la constitution permet des effets de perspective analogues à ceux que nous avions imaginés dans notre exemple d’un individu survolant en hélicoptère une contrée grouillante d’activité ? Nous aurions là la clef, ou tout au moins une tentative d’explication des possibilités d’exploration du futur que permet l’astrologie, et sans doute aussi la voyance !

Mais que deviennent alors le libre arbitre et le déterminisme dans cette compréhension du problème ?

Pietro Ubaldi, dans son livre ‘’La Grande Synthèse’’, écrit ce qui suit : ‘’Le libre arbitre n’est pas un facteur constant et absolu comme l’enseignent vos philosophies, en conflit insoluble avec le déterminisme des lois de la vie, mais un fait progressif et relatif au niveau différent que chacun a atteint’’. On peut méditer utilement sur cette pensée.

Si vraiment la vie a un but, par exemple celui de nous améliorer sans cesse, et si ce but est contrôlé par des lois ou des forces quelconques, nous pouvons trouver un exemple qui nous fera comprendre la part de déterminisme et du libre arbitre dans notre destinée.

Nous touchons évidemment ici à un point névralgique de la personnalité humaine. L’homme a en effet pris l’habitude de se considérer comme le roi de la création et, par conséquent, l’idée qu’il pourrait être dominé ou guidé par des êtres supérieurs à lui, ou même par des forces aveugles, lui est désagréable, pénible même, et choque son orgueil.

Pourtant le dilemme est inéluctable : ou bien les influences astrales existent et contraignent l’homme à se plier à une destinée définie à l’avance, en grande partie tout au moins ; ou bien ces influences n’existent pas, et alors, puisqu’il n’y a plus de grade-fou à la folie humaine, l’individu est libre de suivre ses instincts, même les plus pervers. Mais ceci aboutit à la négation, non seulement de toute fraternité humaine, mais même de toute organisation sociale, donc à l’anarchie. C’est d’ailleurs ce que l’on constate aujourd’hui où, par le jeu de la démagogie, on enseigne aux citoyens qu’ils ont tous les droits, mais en se gardant bien de leur dire qu’en échange de ces droits ils ont aussi des responsabilités et des devoirs. L’histoire enseigne d’ailleurs que les civilisations qui nous ont laissé un héritage prestigieux furent celles où une idée philosophique ou religieuse dirigea les réflexes, les actes et les buts de tous les citoyens, donnant ainsi l’exemple d’un corps social uni et cohérent, aux rouages parfaitement coordonnés.

Puisque, par définition, nous sommes de ceux qui croient aux influences astrales, il nous faut bien reprendre l’hypothèse évoquée plus haut, à savoir que ces influences tendent à guider l’individu vers une évolution plus haute, et plus consciente encore, que celle à laquelle il se trouve parvenu.

Est-il tellement surprenant de soutenir que l’homme n’accumule de l’expérience, donc de l’intelligence et de la sagesse, que par le jeu des événements, heureux ou pénibles, qu’il subit au cours de son existence ? Un peu à la façon du disant brut qui n’acquiert son brillant et tout son éclat que par des meulages successifs. C’est évidemment là une conception assez différente de celle, assez en vogue, qui consiste à prétendre que le but de la vie est de jouir et de s’assurer le maximum de bien-être matériel. Hélas, au moment de mourir, on n’emporte rien des ces biens matériels et, seuls, les héritiers en profitent ; on ne voit donc pas la sagesse de pareille conception.

Reprenons donc l’idée dont nous avons parlé plus haut, et qui est destinée, dans notre esprit, à mieux faire comprendre le jeu du déterminisme et du libre arbitre dans notre destinée.

Supposons que, comme gardien, ou par souci de compagnie, nous achetons un chien. Il est bien évident que, si ce chien n’est pas dressé, au moins dans une certaine mesure, il va prendre des habitudes d’indépendance qui nous irriteront ou nous perturberont ; il faut donc inculquer un comportement qui courre^ponde au but que nous avions en achetant ce chien. Ce dressage peut se faire, soit en inspirant la crainte, par la menace donc, soit en faisant appel à ce que l’animal peut avoir d’intelligence ou d’esprit de compréhension. De toute façon, il a a là pour le chien quelque chose de pénible. Mais il est clair que, au fur et à mesure qu’il en viendra à répondre à nos propres désirs, nous allons relâcher notre sévérité ; de sorte que le chien finira par avoir conquis une semi-liberté, tout en ayant appris que cette indépendance reste néanmoins conditionnée par les vues de son maître.

Transposons cet exemple, en plaçant l’homme à la place du chien, et les influences astrales – à défaut de pouvoir les personnaliser davantage – à la place du maître ; et nous aurons ainsi une idée de la façon dont le déterminisme, c’est-à-dire le dressage, peut se combiner avec l’exercice de l’indépendance bien comprise, c’est-à-dire le libre arbitre.

Nous pouvons encore concevoir cette imbrication du libre arbitre et du déterminisme d’une autre façon. Notre univers est évidemment soumis à toutes sortes de forces, dont l’action est connue et s’exerce de façon implacable : la pesanteur, la force explosive des gaz, par exemple. Lorsque nous nous heurtons de façon aveugle à ces force, nous prenons la mesure du déterminisme terrestre ; par contre, lorsque nous cherchons à éviter d’être la victime de ces forces, nous utilisons notre libre arbitre. Autrement dit, il n’est pas inévitable que nous recevions sur le pied une pierre qui risque de nous rendre infirme ; il suffit que, ayant compris le jeu déterministe de la pesanteur, nous cherchions à nous écarter de sa trajectoire. De même, l’utilisation du gaz d’éclairage ou de chauffage n’implique pas que nous devions subir les effets d’une explosion quelconque ; il suffit de savoir dominer la force explosive de ce gaz pour n’en connaître que les côtés bénéfiques.

On pourrait encore disserter longuement sur cette lancinante question du déterminisme et de la liberté humaine ; mais une chose nous paraît évidente : c’est que l’exercice du libre arbitre implique forcément un effort de volonté accompagné d’un acte d’intelligence. Toute autre conception du libre arbitre dérive de la licence pure et ne peut conduire qu’au désordre.

Le marin qui, sur son navire, parvient à guider celui-ci vers sa destination, quelle que soit la direction et la violence des vents, ne fait pas autre chose. Il est le symbole même du libre arbitre. Il sait, en effet, que s’il s’abandonne aux courants, par négligence ou par paresse, il est condamner à errer sans but sur les mers et, sans doute, à y sombrer quelque jour, lamentablement.

(1) Extraits du livre ‘’Pour mieux comprendre l’Astrologie’’ de Gustave Lambert Brahy aux Editions La Roue Céleste – Dervy Livres.

Sélection faites par Gemini avec l’autorisation de l’auteur.

Article paru dans la Revue Microcosmos n° 8 – Octobre 1986

 

 

LA PHILOSOPHIE ET L’ASTROLOGIE SONT-ELLES COMPLEMENTAIRES ? (Part 1)

par Gemini
 

Introduction

La philosophie est-elle tout simplement la recherche du savoir ? La recherche de la vérité ? Quelle vérité, la sienne ? Celle du monde qui nous entoure ? Le sens de la vie ?

Tendre vers la sagesse, qui serait le fruit de l’expérience accumulée au travers des bonheurs, des malheurs ? Aller vers une connaissance approfondie de soi-même ? Se laisser porter par les événements en relativisant toutes choses ? Se soumettre à la fatalité ? Éviter le piège de se perdre dans dédale de pensées confuses et ne pas se laisser bercer par des chimères ?

En fait tout un chacun à sa philosophie personnelle, suivant ses aspirations profondes, son idéologie.

Il n’y a pas de sagesse véritable sans une prise de conscience salutaire. Trouver le courage de faire une introspection, renoncer à cette tendance à tourner en rond en soi, ne pas céder à cet instinct atavique de reproduire le même schéma réactionnel, en accordant aux choses la valeur réelle qu’elles représentent, s’adapter aux circonstances plutôt que de vouloir qu’elles s’adaptent a nos désirs…

‘’ Ne sachant pas combien proche est la vérité, les gens cherchent au loin.

A l’image de celui qui, au milieu de l’eau, crie sa soif en ce lamentant ’’

Bulletin Théosophia Mars 1985

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En fait le bonheur humain est pour chacun d’être et de rester à sa vraie place, celle qui correspond à ses capacités.

Toutes ces questions et ces réflexions nous conduit droit à la philosophie via l’astrologie car quoique l’on en pensent il y une connexion évidente entre ces enseignements !

Les deux sont des doctrines humanistes qui se basent sur des réflexions et des principes fondamentaux sur les causes les effets et les valeurs qui régissent les rapports entre l’univers l’homme et la société afin que cet ensemble cohabite en harmonie.

Certes il existe toute une panoplie de philosophie qui se base sur les différentes activités humaines.

L’astrologie possède également divers facettes d’application( la santé, professionnelle, sentimentale, etc…)

Mais toutes ces démarches intellectuelles quelles soit philosophiques ou astrologiques ont en commun comme but, renseigner, éclairer, guider l’humanité vers des valeurs morales.

L ‘Astrologie n’est pas une mancie, ni un ’’art chimérique ’’ mais, bien ’’ La Science des Anciens ’’. Une conception millénaire d’après laquelle la vie de l’être humain et tout ce qui est vivant sur terre est lié au cosmos.

L’Astrologie est une science car elle se base sur l’Astronomie, car il faut procéder à des calculs précis pour l’établissement d’un graphique appelé ‘’carte du ciel ’’, représentation exacte des positions planétaires au moment de la naissance.

C’est un art car la lecture et/ou l’interprétation d’une carte céleste nécessite la connaissance des arcanes, posséder un jugement sûr, de l’intuition et une grande puissance de déduction. Il s’acquiert grâce à un travail persévérant et à un longue pratique.

L ‘histoire de l’Astrologie et de l’Astronomie sont étroitement liée, la séparation entre ses deux disciplines s’est faite au XVIIème siècle, sous la pression de l’Eglise. Le déclin de l’Astrologie s’amorça à l‘instigation de Colbert. Ce dernier fonda en 1666 l’Académie des Sciences et il interdit l’enseignement de l’Astrologie dans les universités. C’est un sujet trop vaste pour être traité dans cette article.

Il faut savoir que l’étymologie des deux mots désigne deux systèmes et le domaine de chacun. Précisons que le mot ‘’astronomie’’ vient du grec astron (étoile) et nomos (loi), signifie que l’astronomie étudie le mouvement des astres. Quand à ‘’l’astrologie‘’, issue du même mot astron et de logos (parole ou verbe), elle prouve qu’elle concerne une science d’interprétations et d’études des positions astrales.

 
 
‘’L’astrologie est l’astronomie apportée sur la terre et appliquée aux affaires des hommes‘’

Ralph Waldo Emerson (1803-1882)

L’étymologie du terme ’’philosophie’’ provient du grec philo-sophia signifiant ‘’ amour de la sagesse ’’

En Occident son origine remonte à l’Antiquité grecque. Il est évident que les cultures de tous les continents avaient leurs propres approches de que l’on nomme aujourd’hui ‘’la philosophie’’

En Orient elle remonte à la période babylonienne, probablement le tronc de toutes les ramifications futures. C’est vraisemblablement de cette civilisation que découle tout un pan de la philosophie occidentale

 
Partie 1 – La philosophie chinoise

La civilisation chinoise se développa longtemps à l’écart des autres foyers culturels de l’Antiquité. La Chine resta isolée du reste du monde jusqu’a la fin du IIème siècle av.J-C, période où elle prit conscience que d’autres peuples civilisés vivaient au-delà de ses frontières.

Nonobstant ce fait, la société chinoise primitive était fondée sur un ensemble de règles de conduite, appelée LI, consistant essentiellement à pratiquer la politesse, les bonnes manières, et à observer les rites religieux et profanes. Le LI assurait le maintien de l’ordre social.

Un des sages philosophes de cette époque, Confucius (vers 551-475 av. J-C), fut un de ses plus ardents défenseurs, professant que seul le respect des pratiques extérieures permettait de développer les vertus intérieures de l’homme.

CONFUCIUS

CONFUCIUS

La première école philosophique fut créée avec certitude par Confucius, penseur et philosophe, respectant également les prédictions astrologiques.

’Le ciel dispense ses symboles, bons ou mauvais, et les sages agissent en conséquence’’ (Confucius)

Il voyagea longuement, répandit son enseignement et occupa plusieurs fonctions officielles.

 
 
’ Le sage commence par faire ce qu’il veut enseigner, ensuite il enseigne.’’

 

Confucius’’ (Entretiens – Chap.2

Confucius pensait que les hommes devaient accepter la société comme une contrainte naturelle où chacun obéissait à ses supérieurs, ces derniers devant être un exemple pour les inférieurs.

’L’homme de bien ne demande rien qu’a lui-même ; l’homme de peu demande tout aux autres ‘’ (Confucius).

Il vénérait la continuité et réprouvait le changement. Son enseignement a été conservé dans un recueil d’ entretiens compilé après sa mort.

La Confucianisme joua un grand rôle dans l’histoire de la Chine, et son étude fut exigée plus tard pour l’admission dans l’administration impériale.

).

La seconde école philosophique importante de la même période, totalement opposée au confucianisme, fut le

LAO-TSEU

LAO-TSEU

 taoïsme, essentiellement représenté par le sage Lao-tseu,son nom est également écrit Laozi. Selon la légende, Laozi naquit dans la province du Henan (Ho-nan) et fut archiviste et astronome à la cour des Zhou. Il aurait laissé le Daodejing ou Tao-tö-King(Le Classique de la Voie et de la vertu). Des mythes ultérieurs intègrent Laozi à la religion chinoise, faisant de lui la principale déité du taoïsme religieux, déité qui aurait révélé les textes sacrés à l’humanité.

La seconde école philosophique importante de la même période, totalement opposée au confucianisme, fut le taoïsme, essentiellement représenté par le sage Lao-tseu,son nom est également écrit Laozi. Selon la légende, Laozi naquit dans la province du Henan (Ho-nan) et fut archiviste et astronome à la cour des Zhou. Il aurait laissé le Daodejing ou Tao-tö-King(Le Classique de la Voie et de la vertu). Des mythes ultérieurs intègrent Laozi à la religion chinoise, faisant de lui la principale déité du taoïsme religieux, déité qui aurait révélé les textes sacrés à l’humanité.

L’on peut classer Bouddha parmi les penseurs, philosophes.

Gautama, le fondateur du Bouddhisme, appelé plus tard Siddhârta ( ‘’Celui qui à atteint le but’’) et le Bouddha (l’Éveillé )

Contemporain de Confucius, Gautama devenu ‘’Bouddha’’ (624-544 av.J-C?) naquit dans une importante famille de ksatriyas aux confins Indo-Népalais. Il connu jusqu’à l’âge adulte la vie aisée et protégée d’un jeune noble à l‘abri du besoin. Fils du chef du clan des Sâkya, il reçut de son père une éducation guerrière, fut initié à la philosophie indoue, aux sciences, aux lettres et aux langues par un brahmane (prêtre).

BOUDDHA

BOUDDHA

Cependant, vers la trentaine, lassé du luxe et choqué lorsqu’il prit conscience des malheurs qui frappaient la plupart des hommes, il abandonna les siens et mena une vie errante et ascétique tout en se plongeant dans de profondes méditations pendant sept ans. Il se rendit compte que cela n’était pas la bonne manière pour soulager les maux de l’humanité et que ses pratiques ne le menaient pas a la compréhension des choses de la vie. Rejetant l’ascétisme comme moyen de libération, il plongea en méditation durant une quarantaine de jours, assis sous un figuier, et atteignit l’illumination ou état de Bouddha.

 
Quelque temps plus tard, il gagna ses premiers disciples en prononçant un sermon près de Bénarès, au cours duquel il exposa clairement sa doctrine de la loi. Il résuma l’essence de son enseignement : le nirvana (extinction de la douleur). Pour y parvenir il faut une conduite morale irréprochable, définie comme la Voie du Milieu. Jusqu’à la fin de sa vie, le Bouddha prêcha sa doctrine qui rejette le système des castes et l’importance excessive donnée aux rites, sacrifices et mortifications qu’enseignaient les brahmanes. Son seul idéal étant l’ arhat, ou saint parfait , purifié de tous les désirs.

La religion créée par Gautama, le Bouddha, répondait aux besoins des opprimés et des membres des castes inférieures offrant, à tous, le salut, indépendamment de leur naissance.

Au cœur de l’enseignement du Bouddha figurait les Quatre Nobles Vérités :

L’existence est douleur : l’origine de la douleur est le désir. La fin du désir correspond à la fin de la douleur, le nirvana, l’extinction totale du mal. Le nirvana peut être atteint en suivant la ’’Noble Voie aux huit membres’’.  Les membres de la Voie, également appelée Voie du Milieu, sont : opinion correcte, intention correcte, parole correcte, activité correcte, moyens d’existence corrects, efforts corrects, attention correcte, concentration mentale correcte.

Seuls ceux atteignant le nirvana se libèrent du cycle des morts et des renaissances, et dominent le karma, la loi naturelle des causes et des effets, qui veut que tous les actes accomplis par un individu aient des conséquences sur la chaîne de ses vies, le samsara, et que sa situation dans son existence présente résulte de ses actions dans ses vies antérieures.

Approfondissant l’idée de la transmigration des âmes, le karma avait son origine dans les traditions aryennes, pour lesquelles les hommes étaient punis ou récompensés après leur mort selon leur conduite sur terre.

Le bouddhisme, sous sa forme mahayana (doctrine primitive) commença sa pénétration en Chine au Ier siècle de notre ère, venu de l’inde et du Cachemire en traversant les royaumes bouddhistes du nord en suivant la route de la soie du Gansu jusqu’à Chang’an.

On peut suivre l’expansion du Bouddhisme en Chine par la construction de ses temples connaissant son plus grand essor sous les Tang (618-907 ap. J.C) dynastie impériale chinoise.

Facile à voir sont fautes d’autrui : celles de soi sont difficiles à voir
Le monde est aveugle. Rares sont ceux qui voient
L’esprit est difficile à maîtriser et instable. Il court où il veut. Il est bon de le dominer. L’esprit dompté assure le bonheur.

L’insensé reconnaissant sa folie, en vérité est un sage. Mais l’insensé qui se croit sage est vraiment fou. ( Bouddha )

 

Bibliographie
:Les astres vous parlent (Georges Antarès) 28 janvier 1950.
L’Atlas du Monde Antique – France-Loisirs-123 Bd. De Grenelle – Paris 1993